Nature et architecture
Patricia Lunghi
22. mars 2018
Rendering de la tour des Cèdres, Chavannes (Vaud). Image: © Stefano Boeri Architetti
L’arc lémanique est l’une des régions les plus dynamiques de Suisse. Sa croissance économique va de pair avec le développement urbanistique et architectural qui s’articule autour du lac Léman. Parmi les nombreux projets en cours, une petite commune du canton de Vaud s’inspire de l’architecture verte prônée par Stefano Boeri.
À l’ouest de Lausanne, les communes de Bussigny, Chavannes, Crissier, Ecublens, Prilly, Renens, St-Sulpice, Villars-Ste-Croix ont connu dans les années 1980 et 90 une urbanisation rapide et dispersée. Depuis 2004, ces huit comunes se sont unies pour définir une vision commune de leur développement territorial. Ainsi est né le Schéma directeur de l’Ouest lausannois (SDOL) qui fixe les orientations principales de l’évolution du territoire à l’horizon 2030, en particulier dans les domaines de l’urbanisation, des transports et de l’environnement. Cette démarche exemplaire a été récompensée en 2011 par le Prix Wakker attribué par Patrimoine suisse qui a primé cette action commune de réorganisation urbanistique d’un morceau du canton de Vaud.
La métamorphose de Chavannes
Parmi ces communes, il en est une dont le potentiel de développement est très important. Riche en terrains et bénéficiant d’une position privilégiée proche du lac Léman et des campus universitaires de l’EPFL (Ecole Polytechnique universitaire de Lausanne) et de l’Université de Lausanne, Chavannes-près-Renens est en pleine métamorphose depuis plusieurs années. Un vaste programme qui vise à doubler dans les prochaines années la population de 7000 à 14000 habitants. Parmi les projets phares, le Vortex, un bâtiment qui permettra d’accueillir plus de mille étudiants et hôtes académiques en un seul site. Il sera aussi un lieu central des futurs Jeux Olympiques de la Jeunesse à Lausanne en 2020, en tant que village olympique.
A l’horizon 2025, le futur campus santé du canton de Vaud s’installera lui aussi à Chavannes et regroupera un centre de formation clinique, la Haute Ecole de santé vaudoise (HESAV) et des logements pour les étudiants concernés. Le concours d’architecture a été remporté par le zurichois Jan Kinsbergen avec un projet sobre composé de trois bâtiments aux formes géométriques primaires: une croix, un rectangle et un rond qui répondent chacune à une fonction. Autre projet d’envergure, la commune de Chavannes est en train de réaliser un nouveau quartier de logements et de commerces baptisé « Les Cèdres » confié au bureau d’architecture lausannois Richter Dahl Rocha Associés.
Le célèbre Bosco Verticale à Milan. Image: Stefano Boeri Architetti
La tour des Cèdres
Au cœur de ce futur quartier dont la planification remonte aux années 1990, un projet de tour a été plébiscité par le peuple en 2014 et constitue la dernière phase du programme. Devançant Mario Botta, Stefano Boeri a remporté le concours d’architecture avec un projet de tour végétale qui adapte son célèbre Bosco Verticale de Milan avec quelques variantes. Du haut de ses 117m, la tour des Cèdres dépassera les tours milanaises qui culminent à 90m. 3000m2 de végétation seront installés avec un système de loggias et quelques étages seront accessibles au public, ce qui n’est pas le cas à Milan. Présidé par Claude Daetwyler, chef du service de l’urbanisme de Chavannes-près-Renens, le jury a été conquis par ce « modèle écologique qui propose une architecture de qualité, sans extravagance, qui s’intègre parfaitement dans le paysage en privilégiant le développement durable. »
Fort des nombreux prix qu’a remportés le Bosco verticale et de son expérience, l’architecte milanais est devenu le spécialiste de l’architecture végétalisée. Il constate avec surprise que « les habitants de ces tours végétales n’ont pas le vertige, les arbres induisent une sensation de sécurité et de protection ». D’autre part, il remarque que « ce type de bâtiment vieillit bien et même mieux, car la végétation protège du soleil et des intempéries ».
Stefano Boeri sur sa tour a Milan. Image: Stefano Boeri Architetti
Nature et architecture selon Stefano Boeri
Rencontré à Lausanne dans le cadre d’une conférence lors du salon Habitat-Jardin, l’architecte italien lance une provocation « l’invocation de la nature comme solution au changement climatique peut-elle devenir paradoxale ? ». Il constate que les villes occupent 2% de la surface de la planète, mais contribuent à hauteur de 75% de la pollution mondiale en émission de CO2. Pour l’architecte italien, « un des axes de la solution se base sur un développement régénérateur articulé autour des énergies renouvelables et de la forestation urbaine entre autres. Augmenter les surfaces vertes en ville n’est certes pas la seule solution, ni la plus impactante mais elle a un rôle important à jouer, car les plantes absorbent le dioxyde de carbone et produisent plusieurs litres d’oxygène par jour. Et beaucoup de cités expérimentent diverses approches, par exemple Paris avec ses toits végétalisés au centre-ville et avec le projet de Boeri de cinq tours-forêt en bois en banlieue parisienne. D’autres initiatives de ce type sont en cours à Tirana et aux Pays-Bas, à Utrecht et à Eindhoven, menées par Boeri tambour battant avec des variantes selon la typologie et à la fonction du projet, mais toujours en étroite collaboration avec les botanistes locaux. En Chine, il travaille sur l’infrastructure urbaine et sur la mobilité avec des macro-architectures de villes entières arborisées pour améliorer la qualité de la vie et de l’air devenu irrespirable. Chaque année en Chine, 14 millions de personnes quittent les campagnes pour partir s’installer en ville. Les enjeux sont donc vitaux.
Point commun de tous ces chantiers (ou)verts : l’hybridation entre nature et architecture. Stefano Boeri croit fermement au reboisement des villes pour favoriser la biodiversité et rendre l’air plus propre. Sans oublier que cette forestation urbaine provoque aussi le retour d’espèces animales en ville. Son credo est « d’imaginer une architecture capable d’être un support pour la nature vivante. C’est elle qui est la protagoniste du projet ».
Stefano Boeri est né à Milan en 1956. Fondé en 1999, son bureau travaille principalement sur les espaces urbains à requalifier. Directeur de revues, fondateur d’un laboratoire de recherche, il enseigne également à l’école polytechnique de Milan et vient d’être nommé président de la Triennale de Milan.
Stefano Boeri a été nommé curateur de la 3e édition de « Space&Interiors », initiative proposée dans le cadre du prochain Salon de Milan qui présentera des projets et des solutions innovantes autour du thème « The Future of Living and the Planet of the Future – Mars ».
Space&Interiors
17 – 21 avril 2018
14.30 – 21.30
The Mall, Porta Nuova, Piazza Lina Bo Bardi 1, Milano