Une exposition événement avant le grand départ

Patricia Lunghi
1. noviembre 2017
With Wind (Avec du vent), 2014, bambou et soie © Studio Ai Weiwei. Musée de zoologie

Un site unique pour trois musées, Plateforme 10 deviendra dès 2021 un véritable quartier des arts. A quelques pas de la gare de Lausanne, cette friche urbaine de 25'000 m2 accueillera d’abord le MCBA (Musée cantonal des Beaux-Arts) en 2019 dans un bâtiment conçu par les architectes Fabio Barozzi et Alberto Veiga. Puis surgira un autre édifice par les architectes Manuel et Francisco Aires Mateus qui abritera le Musée de l’Elysée (Musée cantonal de la photographie) et le mudac (Musée de design et d’arts appliqués contemporains). A l’étroit dans leurs murs, ces trois institutions lausannoises occupent toutes des bâtiments historiques qui ne correspondent plus aux besoins ni aux standards des musées contemporains. Après des années de débats et d’initiatives refusées, le projet Plateforme 10 est enfin en voie de concrétisation. Doté d’un budget de 180 millions de francs, ce nouvel espace urbain ouvre de multiples perspectives pour la capitale vaudoise.

Ai Weiwei, rêve de liberté
Avant d’investir son futur écrin en 2019, le Musée des Beaux-Arts frappe un grand coup pour sa dernière exposition dans ses murs actuels. Star planétaire de l’art contemporain et artiste parmi les plus importants et influents du moment, Ai Weiwei investit le Palais de Rumine avec une grande exposition intitulée « D’ailleurs c’est toujours les autres », inspirée d’une citation de Marcel Duchamp.
 
L’artiste chinois présente plus de 40 travaux produits entre 1995 et aujourd’hui, de la photographie à la sculpture, de la vidéo au papier peint, une grande diversité de projets dont beaucoup sont déjà amplement connus et médiatisés, mais aucune œuvre inédite. Une grande variété de matières aussi, porcelaine, bois, marbre, jade, bambou ou soie qui témoignent de la richesse du vocabulaire de l’artiste et de sa connaissance profonde de la tradition culturelle de son pays. Des modes de fabrication ancestraux qu’il détourne pour formuler une critique du système politique chinois qui l’a envoyé en prison en le privant de passeport et de liberté.

Death Mask (Masque mortuaire), 2014, bronze, © Studio Ai Weiwei. Musée d’archéologie

L’art dans l’espace
Enthousiasmé par l’architecture du Palais de Rumine, Ai Weiwei a choisi de ne pas rester cantonné au seul musée des Beaux-Arts mais d’infiltrer les différents musées du site. Il a installé ses créations parmi les objets des collections permanentes, en occupant soit les vitrines, soit en s’emparant des volumes vides, plafonds, murs, comme ce dragon géant en bambou et soie (With Wind, 2014) qui vole au-dessus des animaux empaillés du Musée de zoologie. Fortement ancré dans ses racines, Ai Weiwei réinvente ici le cerf-volant typique de la tradition chinoise, inspiré des animaux imaginaires et symbole du pouvoir, qui appelle à la liberté.

Dans les vitrines du Musée d’archéologie et d’histoire, on découvre le masque mortuaire (Death Mask, 2014) du père d’Ai Weiwei, le célèbre poète Ai Qing, qui côtoie la tête en tissu et en terre de l’artiste (Head, 2012), elle-même placée entre des antiquités. Opposé au régime, Ai Qing vécut lui aussi la prison et vingt ans d’exil avant d’être réhabilité à la mort de Mao Zedong et estimé comme l’un des poètes chinois les plus importants du XXe siècle. Ici s’exprime l’admiration du fils pour le père dissident qui, bien avant lui, critiquait le gouvernement et réclamait déjà la liberté d’opinion.

Crystal Cube (Cube de cristal), 2014, verre de cristal, 3,1 tonnes © Studio Ai Weiwei. Musée de géologie

À l’entrée du Musée de géologie, un imposant cube en cristal transparent (Crystal Cube, 2014) de plus de 3 tonnes accueille le visiteur et entre en résonance avec les pierres, roches et autres minéraux, tandis qu’au-dessus des vitrines ondoient de grands personnages en bambou et soie (Caochangdi, 2015) qui incarnent le rêve et la liberté.

Dans les grandes salles du Musée cantonal des Beaux-Arts, la partie la plus spectaculaire de l’exposition, se déploient les œuvres les plus connues de l’artiste, dont la monumentale installation Sunflowers Seeds (2009). Déjà présenté à la Tate Modern de Londres, ce parterre composé de 13 tonnes de graines de tournesol en porcelaine peintes à la main par des artisans chinois symbolise l’humanité, l’individu dans la société. « Chacune de ces graines est unique et a pourtant l’air identique aux autres. L’accumulation de ces graines en fait quelque chose d’autre. On voit, et en même temps on ne voit pas, car tout disparaît derrière cette masse. » Ai Weiwei, Taschen, 2016.

Sunflower Seeds (Graines de tournesol), 2010, porcelaine peinte à la main et sur les murs The Animal That Looks Like a Llama but is Really an Alpaca, 2015, papier peint. Photo: Musée des Beaux-Arts

Avec cette idée de jeu de piste qui conduit le visiteur à partir à la recherche de l’œuvre « cachée » pour débusquer l’intrus dans tout le Palais, l’exposition d’Ai Weiwei se démarque. Elle est d’autant plus intrigante que le visiteur ne peut la contempler en un seul coup d’œil, elle exige un investissement de sa part. De plus, alors que les travaux présentés sont pour la plupart déjà connus du public, c’est le dialogue entre les œuvres et l’architecture du Palais de Rumine qui donne à l’intervention d’Ai Weiwei une combinaison unique. Cette intervention sur l’espace de l’artiste chinois est l’angle le plus intéressant de l’exposition qui surprend le visiteur plus par sa forme que par son contenu.


Ai Weiwei – D’ailleurs c’est toujours les autres
Musée Cantonal des Beaux-Arts
Palais de Rumine, Place de la Riponne 6
Lausanne

Entrée libre
Jusqu’au 28 janvier 2018
www.mcba.ch
 

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