L’architecture élève l’homme
Patricia Lunghi
6. d’abril 2023
Mario Botta (Photo : Beat Pfändler)
Plus actif que jamais à 80 ans, Mario Botta multiplie les projets dans le monde entier. Pour le tessinois, le rôle de l’architecture est d’aller au-delà de la fonction et d’amener le sacré. Rencontre.
« On ne peut pas bâtir sans l’esprit du sacré, ce n’est pas une question théologique, c’est une attitude. »
L’auditoire de l’Ecal (Ecole cantonale d’art de Lausanne) est plein à craquer en ce mardi 21 mars, beaucoup d’étudiants, d’amis, d’architectes sont venus écouter Mario Botta. Rassemblant toutes les générations, le tessinois né en 1943 à Mendrisio y a donné une conférence sur le rapport entre l’architecture et le design dans son œuvre. L’élève de Carlo Scarpa – connu pendant ses études à l’Institut Universitaire d’Architecture de Venise (IUAV) – est encore très actif à 80 ans. Ce workaholic ne veut pas entendre parler de retraite et souhaite continuer jusqu’à plus de 100 ans, « j’ai toujours travaillé avec fureur, ma grande passion c’est le travail. Quand je suis malade, je vais à mon bureau et tout passe ! »
Chiesa di San Giovanni Battista, Mogno, 1986–1996 (Photo : Enrico Cano)
Restaurant « Fiore di pietra », Monte Generoso, 2013–2017 (Photo : Enrico Cano)
En Suisse, on connaît le brutalisme rigoureux du Centre Dürrenmatt à Neuchâtel, du musée Jean Tinguely à Bâle, le restaurant Fiore di Pietra sur le Monte Generoso au Tessin, sa première église, sublime, de San Giovanni Battista à Mogno en pierre locale et marbre strié de la Valle Maggia, au Tessin toujours. En 1996, il a fondé l’Académie d’architecture de Mendrisio afin de transmettre les connaissances et la passion de son métier, un campus pour lequel il a dessiné le Teatro dell’Architettura (2018), un cylindre de 27m de diamètre inspiré des théâtres anatomiques, utilisés en Italie dès le XVIe siècle pour les dissections. Autre grand projet, la restauration (2001–2004) et l’extension (2019–2023) de La Scala de Milan. La machine théâtrale a d’autres besoins que par le passé et de nos jours les spectacles doivent s’enchaîner rapidement, on dit que les meilleurs théâtres ne sont pas ceux qui ont la plus belle salle mais la meilleure scène. Pour l’extension du célèbre édifice inauguré en 1778, Mario Botta a dû batailler avec les défenseurs du patrimoine pour faire accepter son projet de tour flanquée d’un grand volume elliptique. Cet ajout contemporain dont le langage contraste mais dialogue harmonieusement avec le contexte a permis d’agrandir la scène et de donner plus de place aux artistes pour qu’ils puissent répéter plusieurs spectacles en même temps.
Teatro alla Scala, Milan, rénovation 2001–2004, extension 2019–2023 (Photo : Enrico Cano)
Très actif également en Chine, l’infatigable travaille depuis dix ans à un grand projet à Shenyang, au nord de Beijing (Pékin). Pour cette Academy of Fine Arts fondée par Mao Zedong, il a fait le Master Plan puis conçu divers bâtiments, « c’est une expérience extraordinaire qui me donne l’opportunité de construire les maisons des enfants, des professeurs, un musée, bref un campus entier ».
Si sa frénésie de travail embrasse toutes les typologies architecturales, maisons, écoles, banques, bureaux, bibliothèques, musées et églises, il exprime une nette préférence pour ces dernières, « si je pouvais, je ne ferais que du sacré. Il y a encore beaucoup à explorer dans ce domaine ». Il est d’ailleurs sur le point d’achever une grande basilique à Séoul et vante un nombre important d’architectures de la spiritualité. Pour Mario Botta, « l’opération la plus sacrée qui existe dans le bâti est l’architecture, car elle transforme une condition de nature en une condition de culture, elle exprime le besoin de l’homme d’aller au-delà du fini, au-delà de la fonction. On ne peut pas bâtir sans l’esprit du sacré, ce n’est pas une question théologique, c’est une attitude. Aujourd’hui parler du sacré constitue une forme de résistance au nivellement par le bas qui nous entoure. La société de consommation et les grandes entreprises de la globalisation ont tout homologué. Du nord au sud, aux Pôles comme dans le désert, tous les langages architecturaux se ressemblent aujourd’hui et les mêmes processus de construction sont utilisés pour bâtir vite et économique. On va au plus simple et il n’y a plus de vraie réflexion. Je suis un enfant de l’après-guerre et lorsque j’ai commencé à travailler dès les années 60, pour les architectes de ma génération, l’industrialisation devait apporter une meilleure qualité de vie. Le Mouvement moderne était fondé sur cette utopie, mais finalement tout est devenu spéculation et business. Notre travail est devenu très difficile car la complexité grandissante du bâti va de pair avec la rapidité qui est exigée quant aux propositions que nous devons fournir. Ces deux éléments contraires ont bloqué toutes les réflexions spirituelles et intellectuelles ».
Basilique Notre-Dame du Rosaire, Namyang, Seoul, 2011–2023 (Photo : Kim Yongkwan)
Église du Santo Volto, Turin, 2001–2006 (Photo : Enrico Cano)
Architecture et design« Je ne suis pas designer, je suis un architecte qui fait des petites architectures », annonce Botta qui dès 1982 s’investit également dans la pratique du design en créant des chaises pour la maison Alias, puis de nombreuses assises, tables et autres objets d’ameublement, ainsi que des montres, un beau vase facetté pour Lalique et des tabourets en bois naturel pour la manufacture Riva 1920. Son projet de design le plus récent est une collection de poêles pour le fabricant italien TVS, « j’ai accepté de faire ce projet car je n’ai jamais fait de casseroles, c’est une nouvelle aventure. Cela fait trois ans que nous y travaillons, notamment pour faire les poignées qui sont assez complexes ». Un nouveau projet à découvrir bientôt dans les magasins Migros !